Le développement des pratiques inspirées de l’éducation positive ont fait émerger l’idée qu’il devrait être possible d’éduquer autrement (et c’est assurément une réflexion à mener). La nécessité de sanctionner est remise en cause : est-ce un acte éducatif efficace ? Justifié ? Bienveillant ? Ou au contraire est-ce une forme de violence faite à l’enfant ?

C’est qu’on oppose parfois, à tort, autorité et bienveillance, comme si l’existence de l’une venait forcément anéantir l’autre. Pourtant, la discipline positive, qui a fortement inspiré mes pratiques ces dernières années, combine les deux : bienveillance et fermeté. Poser des limites, car c’est de cela qu’il s’agit, est un acte bienveillant car il aide l’enfant à se construire dans un cadre stable et rassurant (à condition que ces limites soient elles-mêmes stables et justifiées, non arbitraire et excessivement variables).

Cet article reprend, très succinctement, les idées développées bien plus amplement dans mon livre « Un cadre serein dans sa classe, ça se construit ». J’y ferai donc référence à plusieurs reprises mais ne pourrai pas détailler autant que dans mon livre dans un souci de lisibilité de cet article.

Sanctionner : un acte éducatif

J’ai essayé, vraiment, de ne plus recourir à la sanction du tout, inspirée par les discours convaincus de certains auteurs ou de certaines collègues. Je me suis rendue compte de plusieurs choses.

D’abord, et c’est peut-être une évidence pour vous, il n’est pas possible de gérer une classe en tant que professeur comme un parent s’occupe et éduque son enfant. Si l’empathie, la bienveillance, le respect, la non-violence, la fermeté sont, entre autres, des caractéristiques communes à ces deux expériences, il existe aussi de nombreuses différences entre ces deux expériences.

Un exemple assez simple, en apparence : le nombre d’élèves et le temps limité qu’il est possible d’accorder à chacun. Aussi, nous devons parfois choisir entre mener un acte éducatif optimal du point de vue efficacité et éthique, et gérer le groupe. Les compromis sont alors inévitables. Aussi, la sanction, qui a notamment pour objectif de mettre un terme à un comportement représentant une perturbation importante du climat de la classe, se pose parfois comme une nécessité.

Pourquoi sanctionner ?

A quelles conditions la sanction est-elle un acte éducatif ? C’est un point que je détaille plus en détail dans mon livre « Un cadre serein dans sa classe, ça se construit ». Pour faire court, et en me référant au travail d’Eirik Prairat, la sanction doit servir trois fin :

  • Une fin éthique : la sanction est d’abord adressée à l’élève et a pour but de l’aider à grandir, à évoluer.
  • Une fin politique : la sanction sert aussi le maintient du cadre, de la règle en rappelant qu’on ne peut l’enfreindre sans conséquence.
  • Une fin sociale : un élève enfreignant une règle se place en marge du groupe, la sanction doit lui permettre d’y revenir.

On comprend bien la différence entre la punition – qui est parfois assimilée à une forme de vengeance ou s’inscrit dans un rapport très personnel de « prise de pouvoir » – et sanction. Cette dernière ne vise ni à faire en sorte que l’élève se sente mal, ni à l’humilier.

Quand sanctionner ?

Mon propos n’est pas de dire que la sanction est la réponse à tous les comportements perturbateurs. Elle ne dispense ni de parole (au contraire), ni d’accompagnement, ni de soutien.

Elle n’est en aucun cas systématique ou automatique. Elle est nécessaire dès lors que les autres possibilités ne suffisent pas ou plus : rappel, dialogue, discussion en conseil de classe, en temps d’échange en classe, conséquences logiques, adaptations, etc. (alternatives détaillées elles aussi dans le livre « Un cadre serein dans sa classe, ça se construit »).

Les cas de violence sont, par exemple, des cas qui demandent une réponse ferme. Selon l’âge des enfants concernés, le contexte, la force du coup porté, l’intentionnalité du coupable, la sanction sera une réponse appropriée. Évidemment, on ne va pas réagir de la même façon face à un élève de petite section qui bouscule son camarade alors que ce dernier allait casser sa construction que face à un élève de cycle 3 qui donne un coup de poing de rage après une défaite à un jeu (mais là, j’enfonce une porte ouverte, non ?).

Le comportement du groupe aussi, peut-être un bon indicateur : lorsqu’on tarde trop – ou lorsqu’on hésite trop – à sanctionner, les élèves semblent comprendre, implicitement ou explicitement, que les règles peuvent être enfreintes sans que de grandes conséquences ne soient à assumer. Les règles ne tiennent plus. Les comportements perturbateurs ont alors tendance à augmenter.

Bien sûr, nul ne souhaite sanctionner à répétition, ce n’est jamais agréable pour personne. Aussi, comme suggéré plus haut, il y aura mille et unes choses à mettre en place pour ne pas en arriver là mais il est important, je trouve, d’avoir à l’esprit que la sanction sera parfois nécessaire.

Comment sanctionner ?

C’est sans aucun doute la question la plus difficile. Comment pratiquer une sanction éducative ? Comment faire pour ne pas tomber dans le piège de la punition, de la réaction à chaud, de la crise d’autoritarisme ? Comment faire pour que l’élève ne s’en sente ni humilié, ni stigmatisé ? Comment faire pour que cette sanction ne rompe pas le lien entre son élève et soi ? Entre les élèves eux-mêmes ?

En s’inspirant de la discipline positive et des conséquences logiques, on peut s’appuyer sur quatre critères. Selon Jane Nelsen (dans « La discipline positive en famille, à l’école, comment éduquer avec fermeté et bienveillance »), une conséquence logique doit être :

  • reliée : elle a un lien logique avec le comportement sanctionné ;
  • respectueuse : elle n’implique ni humiliation, ni culpabilisation, ni dévalorisation ;
  • raisonnable : elle est graduée en fonction de la gravité du comportement ciblé ;
  • révélée à l’avance : il ne s’agit pas de prendre en traître l’élève, il connaissait les conséquences à venir s’il adoptait un tel comportement.

Il n’est pas toujours possible de répondre à ces quatre exigences de la conséquence logique mais l’ensemble de ces quatre critères peut servir de guide utile pour définir une sanction. La mise en œuvre sera elle aussi importante : crier sa sanction au travers de la classe n’a pas le même effet que de parler calmement et en tête à tête avec l’élève concerné.

Il n’est pas pour autant forcément question de « cacher la sanction » : ne pas avoir pour but d’humilier publiquement ne signifie pas pour autant que la sanction doit être invisible aux yeux des autres puisque, rappelons-le, la sanction a aussi pour fin de maintenir la règle au sein du groupe, pas uniquement de l’individu.

Il y a encore fort à dire sur le sujet de la sanction. Comme souvent, il n’existe pas de solution « clés en mains » mais des solutions sur-mesure à définir soi-même. Cela demande de vraiment prendre le temps de se poser et de réfléchir à la question.

Le livre « Un cadre serein dans sa classe, ça se construit » pourra probablement vous y aider (tout en vous aidant à limiter la fréquence du recours à la sanction en établissant un cadre propice aux apprentissages et au bien-être de chacun). Des précisions sont apportées, des éléments sont approfondis, des fiches et guides d’observation et d’analyse des comportements sont apportés. La vidéo ci-dessous vous éclairera davantage.

Un cadre serein dans sa classe, ça se construit

Si vous avez apprécié la lecture de cette article, y avez trouvé des pistes ou vous y êtes reconnus, vous apprécierez probablement le livre « Un cadre serein dans sa classe, ça se construit ». J’y ai repris l’ensemble de mes idées (qui ont pu évoluer depuis la rédaction de cet article) mais surtout, j’ai approfondi ma réflexion et j’ai tenté d’aller plus loin, de proposer des situations et des outils concrets,

18 réflexions sur “Faut-il sanctionner à l’école ? Quand ? Comment ?”

  1. Je vais sûrement acheter ce livre dont le sujet m’intéresse . Dans la vie on brûle un feu on est sanctionné .Donc en classe la sanction me paraît indispensable . Effectivement faire la distinction entre punition et sanction . La sanction est prévue dans le règlement la punition est arbitraire ? Est ce cela que vous voulez dire? En tout cas merci pour cet article intéressant

    1. Eh bien, pas forcément pour la sanction. Le règlement stipule les règles, la sanction sera, le plus souvent, décidée au cas par cas, selon la situation. Cela dit, un peu comme avec la loi, il est possible d’échanger (pendant un conseil de classe, par exemple) sur les sanctions envisagées dans un cas fréquent (typiquement, bavardages alors que le professeur attend pour prendre la parole… mes élèves étaient alors extrêmement sévères !). Cela permet de discuter, justement, du lien logique qui existe entre le comportement et la sanction qui en découle. Ainsi, la sanction appliquée sera beaucoup plus respectée car non-arbitraire, comprise de tous, acceptée de tous. Je te conseille la lecture du livre qui accorde vraiment un gros chapitre aux diverses réactions possibles à un comportement perturbateur ou non-souhaité.

  2. Merci beaucoup pour cet article ! Ça me donne envie d’acheter le livre. 😉
    Sur le moment, je me suis dit : ha non, je ne lis pas l’article, je vais encore me sentir coupable de punir ou sanctionner, moi qui ait cette année une classe sportive 🙁! Mais non, je n’ai pas ressenti cela. Ton article m’a fait du bien et j’apprécie toujours tes réflexions qui m’aident à cheminer. Merci ! 😊👍

    1. Avec plaisir ! Merci d’avoir pris le temps de m’écrire ce message. Comme toi, j’ai senti beaucoup de culpabilité au fil des années à sanctionner, puis à ne pas réussir à mener ma classe sans. J’en étais à culpabiliser de ne pas réussir à faire une année sans hausser le ton… Et pourtant ! Une fois que j’ai réussi à me « recadrer », à me former, à réfléchir, à relativiser et à faire preuve de bienveillance envers moi-même aussi, c’était beaucoup mieux. J’espère que le livre t’éclairera davantage encore. Bonne lecture si tu finis par craquer 😉 .

  3. RIEHM Shirley

    Bonsoir
    Merci pour tout ce que vous proposez et partagez dans le blog.

    Cet article à fait écho : j’ai suivi le même cheminement pour ma classe.
    Cette année (ça ne fonctionnera peut-être pas avec un autre groupe classe) je me base sur 4D.
    Déranger
    Dangereux
    Droits
    Devoirs

    Et ça me permet de faire face à tous les cas de figure, sans avoir une liste de règle qui s’allonge au fil de l’année.
    Se balancer sur la chaise : dangereux
    Bavarder : déranger
    Faire un effort de travail : devoir
    Avoir de l’aide : droit

    Et les sanctions, en général sont :
    Dessins de réparations et mot d’excuse pour les sanctions à minima.
    Fiche de réflexion quand c’est une agression physique.

    1. Merci pour ton retour. Cette idée des « 4 D » est intéressante. Ca me fait beaucoup penser à la discipline positive où il y a souvent les « 3 X », les « 4 Y » (avec une lettre différente à chaque fois) qui aide bien à mémoriser.

      Pour ma part, je leur demande souvent, pour les comportements dérangeants : Est-ce que je dérange en faisant ça ? Qu’est-ce que ça donnerait si tout le monde le faisait ?

  4. Bonsoir,
    Merci pour cet article. Il est très intéressant et m’a donné quelques pistes intéressantes avec deux de mes élèves, notamment un avec lequel je suis enfermée dans un rapport pas très agréable (cela fait 2 ans qu’il est dans ma classe et autant l’année passée je parvenais à trouver des ressources pour apaiser nos échanges autant cette année c’est très compliqué car cest un enfant qui a tellement l’habitude de fonctionner dans le rapport de force, même à la maison, qu’il ne fonctionne que comme ça et trouve uniquement la reconnaissance l’adulte dans ces échanges).
    J’ai mis en place des conseils tous les jeudis depuis septembre et je pense que je vais m’en servir pour discuter de comment on peut tous gérer ses difficultés et trouver des solutions tous ensemble sans stigmatiser personne.
    Merci encore pour toutes ces idées !
    Marion

    1. Ces élèves sont ceux qui nous mettent le plus en difficulté, parce qu’il y a une sorte d’interaction négative, sous forme de cercle vicieux, dont on sait que nous sommes un maillon sans forcément réussir à corriger notre propre comportement. J’en ai eu si souvent, et deux, c’est vite terrible car les deux cercles vicieux se nourrissent l’un l’autre.

      Pour le conseil de classe (j’avais écrit un article ici), il n’est jamais évident d’amener l’idée de parler d’un élève. A chaque fois que je le fais, c’est à deux conditions : que le comportement impacte toute la classe et que tout soit fait avec bienveillance et avec l’idée d’aider l’élève. Parfois, c’est contreproductif (quand l’élève cherche, par son comportement, à être le centre de l’attention). Il m’arrive de faire un « conseil exceptionnel » après avoir sorti l’élève de la classe (sans lui dire « je te sors pour parler de toi » bien sûr, mais parce qu’il a eu un comportement trop extrême et où sortir de la classe me semblait être la seule issue, temporairement en tout cas). On y rappelle que nous sommes tous responsable (moi y compris) du climat de la classe et que nous devrions réfléchir à « comment aider cet élève » à développer un comportement plus favorable ». Nous réfléchissons à la façon que nous avons de nourrir un certain comportement, de laisser croire que nous validons ou que son comportement est légitime et comment, en tant qu’amis et camarades, les élèves peuvent aussi l’encourager et l’aider à trouver une autre place au sein du groupe. Ca fonctionne assez bien.

      Autrement, dans le livre « Un cadre serein dans sa classe, ça se construit », tu trouveras pas mal de tableaux et fiches d’analyses qui te permettront, à partir de tes observations (de ses comportements mais aussi de tes réactions), de définir un plan d’action avec chacun de ces élèves.

  5. Merci pour votre article. Je crois que je vais acheter votre livre! Je suis PES cette année et j’ai du mal à faire la part des choses entre bienveillance et fermeté. Vos conseils sont très intéressants.

    1. Merci pour ta confiance ! Effectivement, en écrivant ce livre, j’avais vraiment en tête de permettre à chaque professeur de trouver un équilibre en associant bienveillance et fermeté, très inspirée de la discipline positive mais aussi des pratiques pédagogiques coopératives.

  6. Je suis EFS cette année et ma classe est vraiment difficile à gérer. Je cherche des solutions et je peine à en trouver. J’ai deux élèves très violents en particulier qui font fréquemment des séjours dans le bureau du directeur et le reste des élèves qui sont très bavards. Je n’ai pas de sanctions pré-établie mis à part des petits mots à coller dans le cahier… J’ai déjà acheté un autre livre qui traite du même sujet mais je pense me procurer celui-ci également !

    1. Avec « Un cadre serein dans sa classe, ça se construit », tu devrais non-seulement réussir à adapter tes réactions aux comportements de tes élèves mais aussi, je l’espère, réussir à comprendre l’origine de ces comportements (à la hauteur de ce que peut un professeur bien sûr) et donc pouvoir mener un travail de fond en parallèle, pour que la situation s’apaise progressivement. C’est ce duo « réaction / travail de fond » qui permet vraiment une amélioration de la situation, je trouve.

  7. Merci beaucoup pour ta réponse. Effectivement, je ne pense pas amener ce travail en conseil autour du comportement de cet élève parce que je trouve cela trop difficile à porter pour lui, qui est la principale victime de ses propres agissements. Il finit par être isolé de la plupart des enfants, parce que dès que quelqu’un le frôle, lui dit quelque chose qui le fruste il prend cela comme une agression. J’ai enfin réussi à faire en sorte que la mère l’emmène faire un suivi psy à l’extérieur car clairement je ne veux plus endosser un rôle où il projette tant sur moi au niveau affectif (il me voudrait pour lui tout seul c’est aussi pour cela qu’il ne cesse de me pousser dans mes retranchements et qu’il me sursollicite) parce qu’à la maison je pense qu’il y a bcp de choses à régler. je vais aller voir ton article sur le conseil et dès que j’ai un peu de sous dans ma coop, j’investis dans ton bouquin car meme si je suis en mater je suis sure de trouver des clefs pour la gestion de classe auxquelles je n’aurai pas pensé. Merci encore pour ton message

  8. Bonjour! Je suis en train de lire votre livre « un cadre serein dans sa classe, ça se construit ». Je n’ai pas la patience d’attendre de l’avoir refermé pour vous écrire un petit merci ! Je pensais le lire en diagonale, mais finalement, il était facile de « tomber dedans », je trouve que c’est une belle synthèse du sujet et un bel argument pour « l’éducation positive », ce très vaste concept dont je ne sais pas tjrs parler ou entendre parler de la bonne manière. J’avais bien compris que vous ne partagiez pas de recette magique (pourtant parfois, ça soulagerait d’y croire ^^) mais je vous confirme que j’y ai trouvé un bel équilibre entre synthèse et pistes concrètes, ancrage dans le réel. Et surtout, un rappel peut-être aussi joyeux que difficile, de notre rôle / responsabilité. Je vais essayer de garder tout cela bien en tête pour la rentrée, pourvu que j’arrive à installer ou poursuivre un équilibre serein et moteur dans ma classe. En attendant, vous m’aurez au minimum remotivée! Merci.

    1. Ton commentaire me fait vraiment chaud au cœur. Tes mots sont précieux car ils me rassurent et me disent que j’ai plutôt bien réussi à écrire un livre qui correspond à ce que je voulais transmettre et partager. Merci !

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