Le conseil de classe est un dispositif qui m’a beaucoup questionnée, en témoigne notamment l’initiative que j’avais prise de lancer un rallye-liens avec la CPB sur le thème de la gestion de classe dans lequel j’avais fait la part belle à ces fameux conseils de classe. On l’appelle parfois “conseil des élèves“, “conseil coopératif” ou encore “temps d’échange en classe” en discipline positive.
L’idée est globalement la même mais j’ai longtemps bloqué sur la mise en place. Comment éviter que ces conseils de classe ne virent au règlement de compte ou au tribunal ? Comment en faire un levier pour mettre en place plus de coopération, de bienveillance et de respect entre les élèves ? Comment instaurer ce dispositif pour qu’il soit efficace au service du bien être de chaque élève et de l’implication de tous ?
Du conseil coopératif au temps d’échange en classe
Au début, je cherchais surtout un outil pour diminuer les conflits et les gérer sans me laisser déborder par eux quotidiennement. Je regardais donc ce dispositif sous cet angle-là et je dois bien avouer que je n’étais pas convaincue. J’y voyais, avec mes a prioris, le risque de glisser vers une sorte de tribunal institutionnalisé, bien loin de ma façon de faire. En effet, j’ai toujours préféré régler les problèmes avec les concernés, uniquement les concernés, et en toute discrétion si nécessaire.
En cherchant un peu, j’ai bien compris que ce n’est pas de cela dont il s’agissait. Cela ne signifie pas pour autant que j’étais prête à me lancer. Je savais ce que je voulais au final : des élèves qui s’autogèrent, un conseil mené par les élèves eux-mêmes, des élèves qui s’écouteraient mutuellement et chercheraient des solutions ensemble. Restait à définir le temps, la forme, la progressivité.
Le conseil coopératif de F. Oury
Concernant le conseil coopératif de la pédagogie institutionnelle (de F. Oury), qu’on retrouve souvent en pédagogie Freinet, je vous propose de lire l’article de l’ICEM à ce sujet. Je vous conseille aussi l’excellent ouvrage “Enseigner avec les pédagogies coopératives” de Sylvain Connac (aux éditions esf), auteur de référence en la matière.
Le conseil coopératif a pour but de mener les élèves à s’auto-réguler de manière autonome en s’appuyant sur les relations entre pairs et non sur une relation “enseignant – élève” où l’élève doit seulement obéir.
Ce conseil a habituellement lieu une fois par semaine et permet de faire le point. En impliquant les élèves, il permet de les motiver à respecter le cadre qu’ils ont participé à construire.
Organisation du conseil des élèves
Si la pédagogie institutionnelle n’impose pas de structure et d’organisation fixe pour le conseil des élèves, certaines étapes se retrouvent dans la plupart des propositions (dans cet ordre ou un autre) :
- Résolution de problèmes
- Propositions pour la classe (organisation, travail, etc.)
- Questions éventuelles
Certains vont ajouter les “félicitations” mais j’y reviendrai avec la discipline positive.
Rôles et fonctions des élèves lors du conseil
Souvent, pour que le conseil se déroule au mieux, on attribue des rôles à certains élèves. Ces rôles peuvent varier d’un conseil à un autre mais quelques uns, là encore, ont tendance à revenir régulièrement :
- le président du conseil (rôle parfois tenu par le délégué)
- le secrétaire
- le gardien (ou maitre) du temps
Pour découvrir comment ce conseil est mis en place dans d’autres classes, je vous propose de lire l’article sur le conseil d’élèves d’un prof d zécoles. Vous pouvez aussi consulter ce rallye-lien où vous trouverez de nombreux autres exemples.
Le temps d’échange en classe en discipline positive
Cette fois-ci, ma source principale a été le livre de Jane Nelsen concernant la discipline positive. Il en existe un livre sur le même thème spécifique à l’école, plus concret et précis de ce que j’en ai entendu.
Avec mes changements d’affectation surprises et répétés des deux dernières années, j’avais un petit peu laissé de côté cette idée de conseil de classe. Pourtant, en lisant le livre de Jane Nelsen sur la discipline positive, je suis retombée dessus sous une autre forme. On parle ici de “Temps d’échange en classe”.
Si ce temps d’échange en classe ressemble en bien des points au conseil coopératif, le contexte et la pensée dans lequel il s’inscrit a su nourrir ma conception du dispositif.
Quelques points clés permettent de définir le temps d’échange en classe. L’auteure parle de “huit compétences essentielles” (je cite) :
- Former un cercle
- S’entrainer aux compliments, remerciements et appréciations
- Respecter les différences
- Développer des compétences de communication
- Se centrer sur les solutions (éviter les conséquences logiques)
- S’entrainer aux jeux de rôle et à la réflexion collective
- Créer un agenda et le format des discussion de classe (établir un ordre du jour et choisir ensemble un format pour les TEC)
- Savoir identifier les raisons pour lesquelles les gens agissent : les 4 objectifs-mirages.
Sans détailler l’ensemble, j’ai retenu quelques points dans ma pratique que je vais essayer d’expliciter ici.
Le choix de la fréquence
Si le conseil coopératif m’avait toujours été présenté comme un conseil hebdomadaire, le temps d’échange en classe peut tout à fait être quotidien, surtout avec les plus jeunes élèves (même en cycle 2). C’est une information que j’avais manqué concernant le conseil coopératif (alors que c’est dans l’article de l’ICEM).
Du coup, je m’étais dit que si j’étais en CP et CE1, je commencerais surement par faire un court conseil mais quotidien. En CE2 ou dans des classes de cycle 3 plutôt difficile, j’aurais opté pour deux conseils par semaine. Et si tout va bien, je pensais simplement réduire la fréquence. Dans les faits, ma classe est plutôt sympathique cette année : une réunion hebdomadaire suffit donc.
Organisation du temps d’échange en classe
Comme en pédagogie institutionnelle, il est possible de laisser ce temps libre mais il est tout de même fortement recommandé de structurer ce temps. Voici les phases proposées par l’auteure :
- Compliments et appréciations
- Suivi des solutions/stratégies précédemment mises en place
- Traitement des sujets mis à l’ordre du jour
- Planification des activités du groupe de classe
On voit à quel point les deux dispositifs sont proches. Je ne serais d’ailleurs pas étonnée d’apprendre que l’un s’inspire de l’autre.
Compliments et appréciations
Le compliment, ou plutôt l’encouragement, est un des outils de la discipline positive. Il s’agit de valoriser les comportements, attitudes voire les réussites de chacun pour l’encourager à poursuivre ses efforts. Si c’est quelque chose que nous faisons tous plus ou moins, il est aussi important que les élèves apprennent à le faire d’eux-mêmes.
Le regard positif que chaque élève porte sur les autres se développe et permet à tous de trouver leur place au sein du groupe. Ce sentiment d’appartenance facilite la résolution de problèmes mais permet aussi de diminuer le risque qu’ils surviennent. Si chacun se sent respecté et valorisé, il aura plus de facilités à accepter de reconnaitre ses tords, à voir ses erreurs comme des occasions d’apprendre et à aller vers l’autre, lui tendre la main ou faire preuve de tolérance.
Faire des compliments s’apprend. Pour aider l’élève à s’exprimer, on pourra proposer la formulation :
“J’aimerais complimenter ou remercier (nom de la personne) pour (action spécifique de la personne précédemment nommée)”
J. Nelsen
Il m’a fallu quelques séances pour y arriver. Au début, les élèves se contentaient de “J’aimerais remercier tous mes potes parce qu’ils sont sympa avec moi.” Chaque fois, je les invitais à être un peu plus précis avec un prénom, un acte précis, un moment précis. Au bout de trois conseils, la plupart ont compris ! Dans d’autres classes, il faudra peut-être faire preuve de plus de patience. Mes deux premiers conseils n’ont servi qu’à cela : se complimenter les uns les autres.
Suivi des solutions mises en place
Autre point important : chaque problème est une occasion d’apprendre. Et on apprend en tâtonnant. Les élèves participent à construire des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent. Cela se fait progressivement. On peut donc se dire, à la fin d’un échange, qu’on va tester une solution puis faire le point la semaine suivante.
J’ai remarqué qu ‘au moment du vote, certaines propositions peinent à obtenir l’adhésion de la majorité sans pour autant qu’une autre proposition soit faite. Plutôt que d’apporter ma solution toute prête, je suggère (ou celui qui mène l’échange) de tester la solution proposée une semaine et de faire le point. Là, les élèves votent plus massivement car ils savent que si ça ne fonctionne pas, ce n’est pas grave, on aura essayé et on continuera de réfléchir. Et bizarrement, souvent, la solution fonctionne tout de même (même quand je n’y croyais pas trop moi-même).
Ce suivi donne aussi du poids aux solutions proposées. La parole des élèves est véritablement prise en compte. C’est un élément qui apporte du crédit à ce conseil (ou temps d’échange en classe).
Traitement des sujets mis à l’ordre du jour
L’ordre du jour se prépare ici en amont, comme il peut l’être aussi en pédagogie institutionnelle bien sûr. Jane Nelsen suggère l’utilisation d’un cahier, comme cela se fait beaucoup dans les classes.
Au début, l’auteure demande de ne pas citer de noms en cas de différend entre élèves. Il vaudrait mieux attendre que les élèves aient appris à s’entraider et à chercher des solutions avant de se lancer sur cette pente glissante.
Rechercher des solutions
Une solution n’est ni une punition, ni une sanction. Elle vise à réparer ou à éviter qu’un problème se reproduise. Elle doit répondre à quatre critères. La solution doit être :
- Reliée (logiquement liée à la problématique)
- Respectueuse
- Raisonnable
- Aidante (elle est utile et enseigne)
Souvent, les élèves proposent des “solutions” qui sont en fait des punitions, et ils ne sont souvent pas tendres : “Si quelqu’un parle, il passe toute la récréation sur le banc à côté de toi et il répète “Je ne dois pas parler en classe” en boucle. Il l’a bien mérité, il n’avait qu’à pas parler !” Dans ces cas, je signale donc que je ne suis pas d’accord avec cette proposition en leur expliquant pourquoi : “Vous sentiriez-vous respecté ?”. Petit à petit, les élèves se modéreront tout seuls.
Le cahier est aussi un outil qui permet de différer, et donc de laisser certains problèmes se régler d’eux-mêmes. Le réflexe des élèves est souvent d’aller voir l’enseignant. En demandant d’inscrire le problème à l’ordre du jour plutôt qu’en donnant une solution toute prête, le professeur laisse à l’élève le temps de trouver ses propres solutions. Souvent, au moment du conseil, le problème est déjà résolu !
Quand le problème ne concerne qu’un ou deux élèves
Pour ce qui est des conflits ou problèmes individuels, je préfère les régler avec les concernés. Cela étant, ils peuvent aussi trouver leur place au conseil. Pour cela, chaque élève pourra participer à la réflexion concernant les solutions possibles mais l’élève concerné sera celui qui choisit celle qu’il tentera de mettre en place. Il pourra aussi choisir le moment. On pourra limiter le choix entre deux alternatives : après la récréation ou à 16h ?
Planification des activités du groupe de classe
Enfin, on clôt ce temps d’échange en classe en planifiant les actions qui seront menées la semaine suivante. On peut en profiter pour faire le point sur toutes les solutions adoptées lors de l’étape précédente.
Il est important de se donner un délai ou d’établir un planning pour qu’elles soient réellement mises en place et qu’elles ne passent pas à la trappe par inadvertance. S’il y a trop de changements d’un coup, on peut décider d’étaler ces évolutions sur plusieurs semaines.
Mon conseil de classe
Voici comment j’ai combiné toutes ces idées afin de constituer mon propre conseil de classe. Il va encore évoluer de le temps mais je peux vous partager ce que j’ai testé, ce que j’ai choisi et ce que j’envisage. Je reviendrai ensuite pour faire le bilan de ma première année complète avec un conseil de classe (car j’avais fait quelques tentatives infructueuses par le passé).
L’organisation spatiale
Il est impératif de tous se voir. On peut choisir, si on a la place, de se mettre à des tables en U ou en carré, par exemple. Cela dit, j’ai trouvé plus simple de pousser les tables de mon U pour que nous puissions nous mettre tous par terre, assis en cercle. C’est Serge Boimare (dans “Ces enfants empêchés de penser“) écrit que l’école est bien l’un des rares lieux où l’on entend faire échnager des personnes qui ne peuvent se voir les unes les autres (en référence, notamment, aux grands temps collectifs organisés avec des tables en rang d’oignons). C’est tellement vrai !
Dans les faits, certains élèves ont la bougeotte et ont tendance à s’avancer au fur et à mesure. D’autres, au contraire, ont tendance à aller se cacher derrière ces premiers. Cela dit, comme pour d’autres petits problèmes, je vais simplement en parler à mes élèves : comment pouvons-nous faire pour que cela ne vienne plus perturber le conseil ? Toute solution proposée par eux, choisie par eux, fonctionnera mieux que n’importe laquelle de celles que je pourrais imposer.
Les premiers conseils menés par l’enseignant
Les deux premiers conseils ont été menés par mes soins. Le troisième a été co-animé avec les délégués de la classe : je prenais le relais quand ça devenait un peu trop difficile à gérer (notamment pour des problèmes entre élèves). Bien sûr, je leur expliquais que c’était pour leur montrer ce que j’attendais d’eux et qu’ensuite, je les laisserai faire. Il s’agit de modéliser la tâche que je leur demande de réaliser.
Durant cette phase de “co-animation”, j’explicite mes attentes. On se répartit les tâches entre délégués (lequel mène les échanges pour quelles phases). On voit aussi comment peuvent être prises les décisions (vote à main levée, choix du concerné, etc.).
On peut sans doute fonctionner autrement et si vous avez des suggestions sur ce point, j’aimerais beaucoup profiter de votre expérience (en commentaire de l’article, c’est le mieux !).
La structure du conseil de classe
Au début, aussi, le conseil n’a pas vraiment de structure. J’ai conservé en tête trois temps que je voudrais établir :
- Compliments et encouragements
- Résolution de problèmes
- Projets, idées et suggestions
Cela étant, comme je l’ai déjà dit, les deux premiers conseils se sont limités à l’étape 1. Les suivants intégreront progressivement l’étape 2. Quand cette deuxième étape commencera à se structurer, l’étape 3 ne viendra qu’ensuite.
Commencer uniquement par des compliments
J’ai trouvé essentiel de passer beaucoup de temps sur les compliments. Mes deux premiers conseils y ont été exclusivement dédiés. C’était un besoin assez spécifique de ma classe mais je pense que c’est un besoin très répandu.
Commencer par apprendre à complimenter les autres (sans forcément attendre un compliment en retour d’ailleurs) c’est aussi apprendre à porter un autre regard sur ses camarades. On réalise qu’ils ont des qualités qu’on ne soupçonnait pas forcément. C’est aussi l’opportunité de mettre en valeur quelques élèves discrets.
Et pour lancer le mouvement, quoi de mieux que de féliciter, encourager ou complimenter soi-même certains élèves ? En donnant soi-même l’exemple de ce qu’on attend, on l’obtient beaucoup plus aisément.
Pour la prise de parole, elle était libre jusque là. Je souhaite tout de même proposer un bâton de parole ou un tour de parole pour que chacun puisse s’exprimer. Notez que je dis bien “proposer” et non “imposer”. Nous verrons si les élèves suivent cette idée. Ils pourraient aussi me parler des petits “bâtonnets de parole” (un bâtonnet de glace avec le nom de chaque élève et on les tire au sort pour définir qui parle).
Résoudre des problèmes
L’étape suivante n’est pas une mince affaire. Elle prendra du temps pour s’installer. Je compte beaucoup m’inspirer de la discipline positive bien sûr. Cela étant, ça reste assez peu structuré pour le moment. J’ai simplement dit aux élèves qu’il s’agissait d’un temps où nous parlions des problèmes de la classe et cherchions des solutions.
Les outils viendront ensuite. Plutôt qu’un cahier, je préfère une boite avec trois couvercles. Cela permet de trier automatiquement les écrits concernant chacun des temps. Ça me permet aussi de donner une seconde vie à tous les petits morceaux de papier de brouillon qui découlent des nombreuses photocopies que nous faisons. Pas de jolis petits billets comme on en voit parfois sur les blogs, plus par souci d’écologie donc.
Par contre, il faut s’assurer que les petits papiers ne disparaissent pas. Je pensais à un classeur et des pochettes mais j’en parlerai, là encore, avec mes élèves. Je pourrai surement bricoler quelque chose avec mon “fuse”.
Comme mes élèves sont déjà grands (CM1) et qu’ils sont très bien entrés dans la dynamique “positive” que je souhaitais impulser, les noms pourront être cités. Je leur demanderai aussi de signer leurs mots. Ne seront lus que ceux qui sont signés.
Projets, idées et suggestions
Au dernier conseil, une élève m’a dit regretter qu’on n’ait pas eu le temps de faire des propositions. Elle aurait aimé établir des responsabilités et proposer cette idée aux autres élèves. Il semblerait donc que les élèves commencent vraiment à s’approprier ce dispositif.
Ne pas réaliser cette étape tout de suite était un choix. Il permet de bien travailler les étapes précédentes mais aussi de “créer un besoin”. Aussi, je sais que la semaine prochaine, lorsque nous arriverons aux suggestions, les élèves ne manqueront pas d’idées. Pour autant, il n’est pas certain que nous ayons le temps de tout traiter.
C’est donc la problématique du temps qui va se poser : comment faire pour en gagner ? Plus de “discipline” du collectif (écoute, efficacité, attention) ? Un temps limité par problème ? Un gardien du temps ? Un ordre du jour ? Une trace écrite des décisions précédentes ? Tous ces éléments vont pouvoir apparaitre en réponse à un besoin réel. Au final, le conseil ressemblera beaucoup à un conseil coopératif, mais son organisation aura été choisie par les élèves eux-mêmes.
Cela implique aussi que chaque année, je reprenne de zéro cette démarche progressive et que chaque année, l’organisation du conseil de classe pourra différer. Mais au fond, n’est-ce pas l’esprit même de ce conseil ?