Encore une évidence qui n’en est pas une pour tous les élèves. La notion de temps en Français, le fameux « passé, présent, futur » pour commencer, résiste parfois à certains élèves, notamment ceux qui ont les plus de difficultés. Aborder cette notion de manière efficace, c’est limiter les risques de répercutions par la suite.
En effet, être capable de reconnaitre et de mettre du sens sur ces trois temps (passé, présent et futur) est un prérequis de bien des compétences et notamment : la compréhension de tous types de textes, la reconnaissance du verbe conjugué dans une phrase et la conjugaison du verbe. On pourrait aussi ajouter l’acquisition de certains mots de lexique liés au temps ou encore certains compléments. Alors bien sûr, certains élèves se dépatouillent tant bien que mal sans cette notion. Mais franchement, en réfléchissant bien la chose en amont, on arrive à de très bons résultats chez les élèves. Autant ne pas se priver !
D’ailleurs, si vous avez des éléments de réflexion ou des expériences à partager, n’hésitez surtout pas ! Loin de moi l’idée de prétendre avoir trouvé la solution idéale. Disons plutôt que je partage ma pensée, là où elle en est aujourd’hui, en espérant m’enrichir aussi, en retour, de vos pratiques. Ce que je propose, c’est un partage, un échange, un enrichissement mutuel.
Comme d’habitude, je fournis une ressource (un affichage) et des éléments de réflexion. Certains y trouveront (peut-être) quelque chose d’utile.
Quelques éléments de réflexion
La compréhension puis la structuration
Encore jusqu’à l’année dernière, j’ai eu l’impression de mettre la charrue avant les bœufs. En général, dans les manuels et les méthodes, c’est un chapitre qui arrive très tôt dans l’année. C’est, par exemple, le sixième chapitre dans Réussir Son Entrée En Grammaire au CE1 (2016) (cinquième dans l’édition précédente). On attaque souvent avec du tri de phrase ou de textes voire de mots (indicateurs temporels) qui nous permet de définir ce qu’est le passé, le présent et le futur. On passe ensuite très rapidement aux exercices. Il y a alors, et comme souvent, ceux qui ont compris du premier coup (car ils savaient déjà), quelques rares qui y sont presque et arrivent tant bien que mal à raccrocher le wagon, et les autres pour qui tout cela reste bien obscur.
Et puis d’abord, pourquoi on les enquiquine avec cette notion d’abord ? Certains n’en ont franchement pas la moindre idée et se retrouvent complètement perdu au milieu de phrases successives qu’on demande de trier, de classer, de modifier ou de compléter…
Créer le lien avec la compréhension de textes
Pour éviter cela, ou en tout cas pour diminuer la probabilité que cela arrive, je préfère attendre un peu et préparer le terrain. Pour cela, je m’appuie sur mon tableau de compréhension. En effet, pour chaque texte, nous travaillons la compréhension générale de la même manière, avec un tableau regroupant cinq questions :
Début | Milieu | Fin | |
---|---|---|---|
Où ? | Le ou les lieux de l'action. | Le ou les lieux de l'action. | Le ou les lieux de l'action. |
Quand ? | Quand se déroule l'histoire ? | Quand se déroulent ces actions par rapport aux précédentes. | Quand se déroulent ces actions par rapport aux précédentes. |
Qui ? | Les personnages au début | Les personnages au milieu | Les personnages au fond |
Quoi ? | Les actions principales au début de l'histoire. | Les actions principales au milieu de l'histoire. | Les actions principales à la fin de l'histoire. |
Si le texte est court, il n’y a qu’une colonne à remplir, ce qui est souvent le cas en début d’année.
Ainsi, nous travaillons le temps à deux moments :
- Le temps général du récit : Est-ce que ça a déjà eu lieu (passé) ? Est-ce que ça se déroule de nos jours ? Est-ce que ça se déroule quand le narrateur parle ? Est-ce que c’est au futur ? Etc.
- La succession des évènements : on remets les actions du récit dans l’ordre (le lexique peut aider) ce qui permet de travailler l’avant, le pendant et l’après.
C’est déjà l’occasion de glisser nos trois mots, « passé », « présent » et « futur », à chaque occasion qui se présente. On s’appuiera sur autant d’indices que nécessaire mais on pourra aussi faire intervenir la lecture dialoguée ou la mise en scène afin de faire vivre les situations.
En compréhension, varier les modalités me semble essentiel. Des études montrent que les compétences (processus) de compréhension sur multimodales : elles se transfèrent aisément d’une modalité à une autre. Ainsi, ce qui est travaillé à l’oral mais aussi lorsqu’on observe (une image, une saynète, etc.) se transfère aisément à la lecture ensuite. Cela nous laisse un peu de temps pour travailler la lecture sans pour autant négliger la compréhension. Le travail est d’ailleurs souvent débuté en maternelle, avant même que les élèves ne sachent lire. Les temps d’oral ne visent pas simplement l’acquisition de lexique ou de la syntaxe.
Bref, je ne commence ce chapitre que lorsque je sens que tous les élèves sont bien à l’aise avec cette notion de temporalité. Alors, je sais que ma séance de découverte, qui n’en sera plus vraiment une, se déroulera sans problème. En fait, il s’agira davantage d’une phase de structuration. De plus, les élèves mettront du sens sur les activités proposées (si on décide d’en proposer). On pourra aisément leur dire, sans forcément avoir vu d’autres notions de grammaire auparavant, que ces entrainements leur permettront de mieux comprendre les textes lus.
Renforcement
Ensuite, chaque séance de lecture-compréhension ou de littérature sera l’occasion de renforcer cet acquis. Que ce soit par l’utilisation de mon tableau de compréhension ou par de simples questions, posées à l’écrit ou à l’oral, nous continuerons d’entretenir la compréhension de ce qu’est le passé, le présent et le futur.
Petit à petit, on pourra proposer des textes de plus en plus résistants, où cette notion devient vraiment importante. Sans cela, les élèves pourraient se laisser duper par une apparente facilité. Or, ceux qui lisent beaucoup sont surement déjà tombé sur un passage où il a dû s’y reprendre à deux fois pour bien remettre les choses en ordre. La temporalité peut parfois poser problème dans un texte. C’est aussi intéressant car cela donnera d’autant plus de sens à cette notion et son importance.
Je m’efforce de saisir chaque occasion ! Il me semble essentiel que tous les élèves quittent le cycle 2 (pour ne pas dire le CE1) en ayant compris cette notion.
Reconnaitre le verbe grâce au temps
On peut utiliser de nombreux indices et de nombreuses méthodes pour essayer de retrouver un verbe conjugué dans une phrase. Par exemple, pour les temps simples, les marqueurs de la négation encadrent le verbe. On peut aussi chercher le sujet, bien que cela soit souvent aussi difficile que de trouver le verbe. On peut essayer de conjuguer ce verbe, mais on risque de se tromper entre « réveil » et « réveille ». On peut chercher l’infinitif, avec le même risque.
L’opération qui fonctionne le mieux je crois, est le changement de temps. En effet, on sait que le verbe conjugué varie en fonction de deux facteurs : le sujet et le temps. Comme le sujet n’est pas toujours évident à trouver, on peut plus aisément s’appuyer sur le temps. Il faudra alors :
- identifier le temps de la phrase (au moins passé, présent, futur)
- être capable de changer ce temps pour l’un des deux autres (si c’est au passé, on peut mettre au présent ou au futur)
- observer le (ou les, pour les temps composés) mot(s) qui change(nt) : c’est le verbe conjugué
Pour arriver à réaliser les deux premières étapes, on comprend bien l’importance que peut avoir la maitrise des trois grands temps : passé, présent et futur. Si l’élève peine à identifier le temps d’une phrase, cette opération risque de lui sembler contreproductive ! Il ne se l’appropriera surement pas.
Dans les faits, les élèves ne recourent pas à ce test systématiquement. Cependant, en situation de production d’écrit (autonome ou dictée), un important travail est mené concernant le doute orthographique. Ainsi, je les invite à vérifier les verbes de façon systématique. Cela permet de vérifier la construction des phrases comme les accords. Lorsqu’ils doutent de leur analyse, ce test leur permet d’être surs. Vous pourrez trouver mon petit livret de relecture dans l’article dédié.
Le temps et la conjugaison
On en vient peut-être au lien le plus évident : celui entre la notion de temps (passé, présent, futur) et la conjugaison. En effet, le verbe est le seul mot (à l’exception des indicateurs temporels, vous feront remarquer certains élèves) qui change avec un changement de temps. C’est de cette propriété, d’ailleurs, que découle le test précédemment cité.
Cela dit, il ne s’agit pas non plus uniquement d’être capable d’analyser le temps d’une phrase. L’élève doit être capable, sans s’emmêler les pinceaux, de classer :
- l’imparfait, le passé composé et le passé simple dans les temps du passé
- le présent (de l’indicatif) comme un temps du présent (et là, ça semble étrange pour un élève)
- le futur (simple) comme un temps du futur
Plus tard, on lui compliquera encore la tâche avec le conditionnel, le subjonctif, le plus-que-parfait ou encore le futur antérieur… Mais en élémentaire, heureusement, nous n’avons que cinq temps de l’indicatif à enseigner. Cela dit, c’est déjà pas mal car ne nombreuses questions se poseront :
- Pourquoi le passé a-t-il tant de temps différents et pas le présent ou le futur ?
- Pourquoi l’imparfait se dit « imparfait » et non « passé + quelque chose » comme les deux autres temps du passé ?
- Pourquoi s’embêter à faire trois grandes catégories alors que le présent n’a apparemment qu’un temps et le futur n’en a qu’un aussi ?
- Etc.
Il me semble important que toutes ces questions trouvent une réponse, même partielle, et que la maitrise de la notion « passé, présent, futur » ne se limite pas à une approche en surface. J’en reviens d’ailleurs à l’importance de la compréhension des temps dans un texte : être capable d’ordonner les actions et éléments d’un récit est un premier pas important. Les collègues de collège pourront sans doute s’appuyer dessus pour construire ces nombreux temps que nous ne voyons pas encore en élémentaire.
Un affichage comme référent
Je ne fais pas forcément une leçon sur cette notion en CE2 mais je laisse toujours un affichage. Celui-ci est forcément au-dessus du tableau car il permet d’aller dans le même sens que les divers frises que j’y écrirai (en lecture, en histoire, etc.) Il va aussi dans le sens du tableau de compréhension, de gauche pour l’action la plus ancienne à droite pour la plus récente. Quand j’explique ou parle de temporalité, j’ajoute des gestes et désigne le passé à leur gauche, comme sur l’affichage, et le futur à leur droite. Du coup, puisque tout va dans le même sens, on a moins de soucis pour les élèves qui ont encore quelques problèmes à se repérer spatialement.
Cet affichage permet de servir de référent aux élèves les plus en difficulté tout au long de l’année. Quand ils n’en auront plus besoin, ils ne le regarderont plus, tout simplement. Comme la notion revient souvent, j’aime le garder tout au long de l’année. C’est d’autant plus vrai s’il n’y a pas de leçon.
Chaque temps est inscrit dans une « bulle ». Ce symbole fait référence à l’idée de « groupe » dans la classe. C’est celui qu’on utilise pour entourer les groupes en mathématiques mais aussi pour les « mots étiquettes », le groupe nominal, etc. Ce pourra être un repère pour faire la différence entre le temps de la conjugaison (passé simple, imparfait, etc.) et sa catégorie (passé, présent, futur).
J’y associe le dessin de ma créature représentant la nature « verbe », car c’est ce mot qui est « porteur du temps » dans une phrase. Un autre article vous propose les affichages avec ces créatures associées à la nature correspondante. Si vous êtes plutôt « Réussir son entrée en grammaire », Lutin Bazar propose déjà un affichage avec ceux-ci.
Je pourrai, librement, ajouter d’autres éléments comme :
- des indicateurs temporels
- des étiquettes avec les différents temps présents dans chaque catégorie
- des exemples de verbes conjugués
Le fichier
J’imprime cet affichage sur du papier épais (160g) et je plastifie. Je réutilise cet affichage tous les ans. C’est un bon investissement car cet affichage peut potentiellement être utile du CP jusqu’à la fin du CM2, même si on aimerait que tous les CM2 n’en aient plus besoin.
Affichage sur les temps
Très intéressant cet article… J’aime le fait de faire le lien avec la compréhension en lecture avec ton tableau QUI, QUOI, QUAND et OU. Questions que j’utilise également en production d’écrit.
Je me suis retrouvée moi aussi cette année avec des élèves en CE1 (c’est ma 1ère année de CE1…) qui ne maîtrisaient pas du tout cette notion malgré la leçon et les exercices faits, et ça m’a beaucoup questionnée. Peut-être comme tu le dis, cette notion est étudiée trop tôt dans l’année… Peut-être aussi que je n’ai pas assez insisté sur le lien qu’il y a à faire entre lecture, conjugaison, grammaire et production d’écrit.
C’est aussi en CP et en CE1 que j’ai réalisé à quel point ce n’était pas si évident qu’il n’y paraissait ! De mon côté, je commence par faire de la compréhension de texte dès le début de l’année. A chaque texte se pose la question du « quand ? » qui permet de parler de passé, de présent ou de futur. Le passé, c’était avant, une époque passée, ce qui s’est déjà passé. Le présent, c’est maintenant, c’est notre époque. Le futur, c’est ce qui ne s’est pas encore passé, c’est l’avenir. Parfois, on relève quelques mots « indices » (les indicateurs temporels) sans pour autant qu’ils aient à les connaitre par coeur. Alors, quand on arrive à l’introduction formelle de cette notion, on a déjà brassé de nombreuses expressions et de nombreuses situations sur lesquelles s’appuyer.
Le lien avec la conjugaison, l’étude de la langue, je le fais après.
Même si je fais cela, il m’est tout à fait possible d’étudier cette notion durant le premier trimestre ! En lisant 1 à 2 textes par semaine, on a déjà une base suffisante qui fonctionne assez bien.
Ton article me fait me poser une question pour ma programmation de l’année prochaine : à quel moment de l’année faire cette séquence ? Je pensais plutôt qu’il fallait le voir assez tôt dans l’année pour avoir l’occasion de la rebrasser à de nombreuses reprises, mais ce n’est pas ton point de vue si j’ai bien compris…
Si on attend plus tard dans l’année, comment donner du sens aux leçons de conjugaison ? Peut-être attendre pour les faire elles aussi plus tardivement, mais cette année je n’ai fait la conjugaison qu’en 5ème période et j’ai trouvé que cela était trop tard, pas assez rebrassé à nouveau…
Qu’en penses-tu ? Comment projettes-tu ta programmation de l’année prochaine en EDL ?
Oui et non. Je le fais tôt, mais pas tout de suite. Cette année, je n’ai fait qu’une séance d’ailleurs, explicitement dédiée à ce sujet. Elle me sert de support pour la recherche du verbe conjugué, ou en tout cas de la méthode du changement de temps.
Avant cela, on peut faire :
– construction de la phrase (groupe sujet et prédicat, même si on ne les appelle pas forcément comme ça)
– le verbe (à partir de ce qui a déjà été vu en CE1) ou la différence avec le nom (action/chose)
– l’infinitif du verbe (en lien avec le dictionnaire, si on le souhaite) : pour définir le verbe conjugué, on peut dire qu’il a un sujet ou s’appuyer sur la construction de la phrase
– phrase affirmative et phrase négative (qui permettra de revoir le verbe conjugué : il est encadré par les mots de la négation)
On peut ajouter un tas de notions d’orthographes en CE2 (j’avais fait la différence entre syllabe et mot, les accents, le son [s], etc.).
Bref, rien n’oblige à commencer par ça. Par contre, il est effectivement important de le voir durant le premier trimestre, je crois, voire durant la première période, pour pouvoir rebrasser tout cela, comme tu l’as très bien dit. En fait, avec ces notions un peu difficiles à intégrer, je trouve qu’il ne faut pas aller trop vite mais qu’il faut quand même pouvoir les voir assez tôt (comme le verbe d’ailleurs) afin d’avoir le temps de revoir tout cela régulièrement.
Il y a déjà ma programmation de l’an passé sur le blog et je partagerai, dès que possible, celle de l’an prochain.